FIGAROVOX/ANALYSE - Quand des
Français tuent des Français, cela s'appelle une guerre civile, explique
Shmuel Trigano dans un grand décryptage. Pour le philosophe, l'
«antisémitisme musulman» du début des années 2000 était un signe
annonciateur de celle-ci.
Professeur émérite des Universités, Shmuel Trigano est un philosophe et sociologue, spécialiste de la tradition hébraïque et du judaïsme contemporain.
Après l'attentat de Nice et le meurtre du prêtre de Saint Etienne du Rouvray, la France s'est retrouvée à nouveau plongée dans une atmosphère qui rappelle celle que décrit admirablement Albert Camus dans La Peste, quand un mal profond mais innommé ronge l'ambiance de la ville d'Oran. Le dispositif mis en place depuis Charlie Hebdo et dont la commémoration de la tuerie de Toulouse avait constitué un prototype ne «prend» plus.
La stratégie du déni
Je fais référence au cérémonial qui s'est mis en place pour «gérer» chaque attentat. L'effusion de compassion, qui en est la marque, est ambivalente: si elle accuse le coup de la réalité (reconnaissant qu'il y a des victimes), elle l'engloutit dans l'émotion, pour en annuler de facto le sens (en censurant la motivation que les agresseurs donnent à leur acte, à travers le rite du «pas-d'amalgame»). Or la réalité est brutale et ne fait pas dans la dentelle. Les actes terroristes sont commis explicitement au nom de l'islam et leurs perpétrateurs ne se recrutent pas au Moyen-Orient mais parmi les musulmans, en France même, dont ils sont natifs. C'est aussi dans ce milieu qu'ils trouvent abri et refuge. Avec le djihadisme mondial «franchisé», qui se développe aujourd'hui, le voisin qui vous dit «bonjour», le fonctionnaire qui vous reçoit, pourrait sans prévenir se transformer en djihadiste armé d'un couteau, d'une hache ou d'une voiture. La réalité, c'est ce que nomme en l'occultant (là aussi) le «nous sommes en guerre»: une guerre qui ne se mène pas à partir du porte-avion Charles de Gaulle mais sur le sol national et dont témoigne la militarisation de la sécurité publique. C'est très exactement ce que l'on nommait, avant l'ère du post-modernisme , une guerre civile. Le gouvernement ne fait que le confirmer lorsqu'il annonce que, même après la défaite du Califat, cette «guerre» ne sera pas finie
Cette guerre civile est, pour être plus précis, l'effet d'une guerre de religion planétaire. Le meurtre des non-musulmans est perpétré par les islamistes comme un sacrifice religieux offert à la divinité, un meurtre «moral», «sacré», de même que la mort recherchée du pseudo «martyr» lui ouvre la porte du paradis: un véritable culte de la mort. Il faut comprendre cette logique d'un autre âge, profondément régressive sur le plan de l'histoire humaine (la régression de la religion au sacrifice humain!), pour comprendre le motif de tous ces massacres. Cette explication n'est pas un commentaire de ma part. Elle découle de sources coraniques et elle est confirmée par l'imam Qaradawi, qui siège au Qatar, pays ami de la France, et qui est le chef du Conseil de la Fatwa pour l'Europe, le mentor sur la plan de la Charia des Frères Musulmans (et donc de leurs émules français). Dans ses décisions juridiques, il justifie le meurtre des non musulmans, et avant tout des Juifs, comme un moyen licite de défendre et illustrer l'islam. Il va même jusqu'à estimer que, si le «martyr» le juge nécessaire, le meurtre des non-musulmans pourrait s'accompagner, pour le succès de l'opération, de la mort de musulmans (ainsi expédiés illico presto au paradis). Sur ce dernier point, cela montre parfaitement que le fait que les attentats frappent aussi des musulmans ne diminue en rien le caractère et la justification exclusivement islamiques de ces actes. À ce propos, il est pitoyable de voir journalistes et experts se perdre en conjectures sur les motifs des massacres et entraîner avec eux un public sidéré et égaré, parce qu'ils se refusent à voir la réalité en face...
Cette réalité - vécue objectivement dans l'inconnaissance -, le Pouvoir, par sa faiblesse et ses idées fausses, ne veut ni ne peut la nommer. C'est la fonction que remplit le deuxième rouage du dispositif dont la finalité est de «naturaliser» la menace. Le slogan «il faut vivre avec le terrorisme - il y aura d'autres attentats» en est l'expression. Le Pouvoir traduit sa défaite en rase campagne sous la forme d'une injonction qui conjure l'état de guerre civile potentielle par l'affirmation d'une solidarité espérée («tous ensemble/restons unis/le terrorisme veut nous diviser») mais que les attentats érodent l'un après l'autre.
Ce cérémonial est devenu inefficace. Les huées de Nice contre le gouvernement traduisent quelque chose de profond: l'échec de la doctrine sécuritaire de l'Etat. La situation que j'ai tenté de décrire démontre sa défaillance à l'épreuve de la réalité. Toutes les actions qu'elle promeut dans le domaine sécuritaire ne peuvent être que cautère sur une jambe de bois. Elle présente un vice de forme stratégique qui retentit sur la tactique.
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