
EMule-Paradise, l'un des principaux annuaires de liens eMule francophones, attirait plus de 300 000 visiteurs par jour au faîte de sa popularité. Créé et mis à jour par une petite équipe, le site avait provoqué la colère des détenteurs de droits, qui réclamaient d'importants dommages et intérêts : 10 millions d'euros au total, pour la mise à disposition de plus de 7 000 films – un chiffre contesté par la défense.
L'accusation arguait notamment que Vincent Valade, le principal responsable du site, n'était pas un simple internaute désintéressé : grâce à sa popularité, eMule-Paradise générait des revenus importants, par le biais de la vente d'espaces publicitaires. D'après l'enquête, le site aurait généré en deux ans 180 000 euros, sans compter plus de 200 000 euros générés par un site pornographique, non visé par la procédure, mais qui tirait la majorité de son trafic de liens placés sur eMule-Paradise. La majeure partie de ces gains – non déclarés au fisc – a été saisie par la justice, dont une Porsche Cayenne que le jeune homme s'était offert peu après sa première garde à vue.
Les gardes à vue sont symptomatiques, dans ce dossier, de la volonté de faire de son client un exemple, estime Me Hugot, l'avocat de M. Valade. "Les conditions de placement en garde à vue de mon client sont très contestables", a-t-il expliqué à l'audience. "Dans un premier temps, l'enquête avait été confiée à la Befti, qui a conduit à une première garde à vue. Elle a refusé de procéder à une seconde garde à vue, estimant qu'il n'y avait pas de faits nouveaux justifiant cette mesure. Les officiers de police judiciaire ont alors été désaisis au profit de la gendarmerie de Nanterre ; cette deuxième garde à vue a été utilisée à des fins coercitives, pour faire pression sur M. Valade afin qu'il ferme le site !"Dans ce dossier particulièrement complexe, tant techniquement que juridiquement, Vincent Valade se voyait reprocher à la fois des délits de contrefaçon, la mise à disposition d'un logiciel visant au téléchargement illégal, ou encore la dissimulation d'activité. Mais Vincent Valade n'avait pas été dûment mis en examen pour certains chefs d'accusation. Après une suspension de séance de deux heures, le tribunal a donc reconnu la nullité de la procédure, et renvoyé le dossier à l'instruction. Il faudra vraisemblablement des mois, voire des années, avant qu'un nouveau procès ait lieu.
A la sortie du tribunal, M. Valade, qui travaille désormais à un projet – légal – de site consacré à la voyance, ne savait pas s'il devait se réjouir de ce retour à la case départ. Les parties civiles (Sacem, FNDF, Syndicat de l'édition vidéo, les entreprises Pathé et Galatée...), qui avaient proposé une disjonction des points problématiques du dossier, ne cachaient en revanche pas leur dépit.
Damien Leloup
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